métro de scène!

Publié le par Letrèfle

Un jour,

j’ai assisté à une pièce cocasse dans le métro. Oui, je sais… encore une histoire de métro… Mais voyez-vous, j’y passe du temps en bon bobo cabotin. Et puis ça m’évite les sujets très originaux qui me  fâchent en ce moment comme « l’amitié H/F, jusqu’où ? », «  séduction ou célibat, est-on pour autant moins seul ? » ou mieux : « pourquoi j’ai toujours le béguin pour des femmes inaccessibles? » (Cela dit, c’est un beau sujet à venir… le même béguin pour la même femme, l'amie évoquée dans l’article précédent…) Bref, tous ces sujets sont abordés 40 000 fois par des tas de gens philosophes. Je ne risque que de déballer de la  philo de comptoir voire de la discussion de cabaret.

J’étais en train d’écouter en boucle « Creap » de Radiohead sur mon lecteur MP3 en forme de téléphone (j’écoute des musiques à me fusiller le moral dans le métro). Un SDF, vendeur de revues à la criée entre dans le wagon. Il commence son laïus habituel de sa voix nasillarde et inutilement forte parce que le métro est toujours trop bruyant. De toute façon, il fait partie du décor. On l’ignore, on ne le regarde pas. On monte le son de son lecteur… Les gens se raidissent à son passage, comme s’il refroidissait la bulle autour de lui tel un « détraqueur » d’Harry Potter…

Je l’avais déjà rencontré une fois et je l’avais trouvé d’une certaine manière, sympathique. Je n’achète jamais rien, mais tout travail mérite salaire, a fortiori en cette période de crise. Et puis, je pouvais bien me passer d’1 euro pour ce monsieur.

Il commence donc à passer entre eux, à l’opposé de la voiture, s’excusant de ne pas avoir parlé assez fort. Sa façon de le dire laisse presque croire qu’il ne le pense pas, que c’est pour rire. Il peut se payer le luxe d’être un peu sardonique, il a brisé le silence bruyant du wagon. C’est un espace qu’il possède et où personne d’autre ne peut aller, celui de la parole au tout venant. C’est comme un jeu entre lui et nous et il peut s’autoriser ce qu’il veut, à haute voix, de l’ironie, de l’aigreur de l’humour au milieu de clones, la tête enfoncée dans leurs épaules, les écouteurs de leurs casques dépassant à peine du journal qu’ils parcourent fiévreusement...

Deux fillettes sont assises non loin avec leur papa. Elles sont habillées comme des modèles de boutique bourgeoise. Des fringues pas accessibles au commun des mortels ou seulement le dimanche de Pâques… Mais, on est loin de l’autel dans le wagon et la date et l’heure laissent plutôt à penser qu’elles vont simplement à l’école. Le papa est un homme d’affaires préoccupé, sorte de mâle noble introverti et sympathique qui considère sa progéniture avec une suffisance indulgente. Il écoute d’une oreille distraite sa fille ainée qui lui assène des affirmations terribles sur ses copines. Elle est classiquement jolie telle une image fade d’un fascicule d’école privée. Elle a un côté Hermione mais friqué, une sorte de mademoiselle je sais tout, le menton fier et relevé, le serre tête parfaitement ajusté, un cartable…. Non, c’est une sorte de sac à main, habillé d’un motif à carreaux très caractéristique d’une grande marque connue… J’écarquille les yeux, les deux sourcils arqués. Sa sœur cadette a le même mais en plus petit, comme si c’était vendu avec les fringues… « Votre sac B…, vous le voulez en 10-12 ans ou 12- 14 ans ? »

Le métro a quelques secousses et on ne peut ignorer cet homme qui frôle, grince et heurte malgré lui les gens assis. Mon SDF en jean baskets pas rasé se rapproche de nous, la voix assurée mais peu porteuse face au débit proactif de paroles de ma blondinette souriante, en petite robe à volants et collants arthuriens.  Respire …. Si tu fais une hypoxie, ton père le réalisera trop tard, . Et c’est le SDF qui aura sans doute la pratique de bouche à bouche la plus efficace… Mais le papa d’affaires est ailleurs… Le métro arrive en station… Elles se lèvent d’un entrechat assuré, sans se tenir à aucune barre, embrassent leur géniteur de façon protocolaire. Je ressens la chaleur de son amour pour elles. Je ressens en fait celle qui m’habite quand les filles me quittent à l’entrée de leur école tous les 15 jours… Il les regarde s’éloigner en souriant, comme s’il prenait conscience de leur existence au silence qui s’impose après leur départ.

Une dame qui embraye leur pas s’arrête avant de sortir, demandant son chemin à un inconnu…

« Madame ? Madame !!?! » Notre homme en jean pas reluisant est tout proche. D’une main il tient son paquet de revues sur l’histoire du métro de Paris et de l’autre une sorte de valise en plastique. Il la brandit, en évidence. Personne ne réagit. « Madame !! Madame !! » Le wagon semble sortir de sa torpeur. Le temps est à l’arrêt, les portes ouvertes… c’est qu’elle est lente à se faire expliquer son chemin… Les gens bougent au ralenti. Je contemple la scène d’un sourcil intéressé et interrogateur. Une autre femme se penche de son strapontin. Elle tire la manche de notre personnage en manque d’orientation… celle-ci se retourne lentement. Le SDF vient brutalement de faire une apparition dans notre monde. On ne peut ignorer qu’il tient la mallette de cette dame. Et il tente en vain d’appeler son attention. Le film repasse en vitesse normale ; elle réalise enfin son oubli, saisit sa mallette au vol et saute sur le quai pendant que la sonnerie annonce la fermeture imminente.

Il est là, juste à ma hauteur… Je souris, lui donne sa pièce… Je murmure à lui seul « Merci pour elle… ». J’entre à mon tour dans l’univers du wagon, comme si un autre voile se déchirait à mon regret. Je deviens un des autres acteurs publics de cette scène en plusieurs actes. « Vous savez, m’explique le jeune monsieur, vous n’imaginez pas le manque de civilités dont les gens sont capables… Cela m’arrive tous les jours dans le métro de donner un coup de main ! »

Tout le monde me regarde comme si… je ne sais pas… En même temps qu’il me parle, les têtes s’engoncent de nouveau peu à peu dans les épaules. Comme des escargots dans leur coquille, les antennes encore sorties, le volume du lecteur est de nouveau suffisant pour couvrir le bruit et les échanges des protagonistes.

Un homme interpelle le SDF. ce dernier est toujours en pleine rhétorique sur l’absence de sens civique et de politesse du monde métropolitain parisien… Notre nouvel acteur est au téléphone, il est moderne, costard avenant sans cravate, dynamique… Il peut parler à deux personnages en même temps. L’un est absent et virtuel car pendu à son propre téléphone dans un lieu inconnu. L’autre est physiquement présent mais les gens auraient presque voulu s’en passer malgré le fracas successif de ses actes et de ses paroles. Le téléphoneur synergique touche l’épaule du SDF qui s’interrompt immédiatement pour le considérer presque étonné.

« Monsieur, dit-il à son téléphone en regardant notre personnage principal, je vous ai donné deux euros et vous ne m’avez rien donné en échange…. Oui… Tout à fait… » Il est de nouveau en conversation avec l’autre. Le SDF piétine….

« Ben, ça dépend ! Vous voulez quelle revue ? L’histoire du métro parisien ou l’autre ? 

-Je m’en fiche, n’importe laquelle, je vous donne 2 euros, vous me donnez une revue… »

Il garde son téléphone collé à son oreille. Notre SDF s’énerve et me hisse à témoin, de sa voix suraigüe. Je me retrouve de nouveau sur les planches de la scène du métro, devant tout le monde.

« Là, vous voyez ? Quand je vous parle de manque de civilité ! En voici un parfait exemple ! »

Je me lève, c’est l’heure de la fuite et de la fin de mon personnage. J’hallucine en souriant. Le métro s’arrête dans ma station. Je sors…

« Parfaitement, tu manques de civilité et de politesse ! Ce n’est pas parce que tu me donnes deux euros que tu dois me traiter comme un chien !... Mais oui on va sur le quai !!! T’es qu’un c… »

Les insultes fusent et s’estompent alors que je secoue la tête de cette pièce surréaliste. Une femme me suit. Elle sourit. Nous avons vu le même spectacle… Puis, peu à peu, je déambule dans le tunnel vers la sortie… Les gens sont froids, gris et silencieux, frôlant le musicien assis par terre, son gobelet de plastique rempli de quelques pièces de monnaie…

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
eh ben, mazette!
Répondre